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La 6ème extinction, évolution et catastrophes

30 août 2010

« … Changement. Le flot constant et perpétuellement mouvant de la vie est emporté par ces accès périodiques d’extinction et de spéciation qui engendrent des formes en constante évolution. L’essentiel est que cette mise en perspective du changement (comme composante d’une longue histoire de la vie) nous offre un moyen de juger quels sont nos propres droits et responsabilités en tant qu’espèce, et quels sont les droits des autres espèces avec qui nous partageons la terre.

Depuis le Cambrien, la vie est passée par des booms et des ruptures. Les espèces se sont extraordinairement diversifiées, pour être simplement éliminées en quantités énormes au cours de formidables extinctions. Cinq extinctions en tout. L’épigramme suivante, qui est censée décrire la guerre, convient aussi à la vie sur Terre, dans son déroulement sinon dans ses manifestations : de longues phases d’ennui, interrompues par de brefs moments de terreur.

Pour un paléontologue, la mort est un fait du vivant, l’extinction fait partie de l’évolution. On estime que 30 milliards d’espèces ont existé depuis l’apparition des premiers organismes multicellulaires, pendant l’explosion du Cambrien. Selon certaines estimations, il existe aujourd’hui sur la Terre 30 millions d’espèces. Cela signifie que 99.9% des espèces ayant existé sont aujourd’hui éteintes. Comme l’a dit un plaisantin, féru de statistiques : « En première approximation la totalité des espèces sont éteintes. »

Dernièrement, les biologistes ont commencé à remettre en question l’hypothèse de la prépondérance de la compétition dans l’évolution, et dans l’interaction entre espèces au niveau local. On ne considère plus aujourd’hui la compétition comme moteur aussi puissant qu’on le pensait naguère.

Avant qu’on ne découvre l’évolution, avec Darwin, au milieu du XIXe siècle, on pensait que Homo sapiens avait été placé au premier rang par la main de Dieu. Après Darwin, on a prétendu que notre espèce était arrivée au sommet grâce à la sélection naturelle, des caractères qui nous rendent si spéciaux. Le contexte intellectuel avait changé, mais la conclusion restait la même. On se prenait toujours pour l’apogée de l’évolution.

Bien que la première souche de l’espèce humaine soit apparue il y a environ 5 millions d’années, le cerveau n’a vraiment grossi, et l’homme n’a produit une technologie, qu’il y a 2,5 millions d’années. Pendant longtemps, nous ne fûmes que des primates bipèdes, et rien de plus.

L’homme moderne est apparu très brutalement et récemment. Avant l’Homo sapiens moderne, toutes les espèces humaines ressemblaient bien plus à des singes qu’à des hommes. Leurs capacités cognitives, leur capacité de communication et leur activité de subsistance se rapprochaient de celle du chimpanzé.

La conscience de notre propre existence exerce une telle force sur nous, aussi bien en tant qu’individu qu’en tant qu’espèce, qu’il est impossible de nous renvoyer à un néant, bien que, pendant des centaines de millions d’années, l’homme n’ait joué aucun rôle sur cette planète.

L’incapacité qui nous est propre à imaginer un monde sans Homo sapiens a sur nous-mêmes un effet profond : la pente naturelle est de croire que notre évolution était inévitable. Et cette inexorabilité donne un sens à la vie, car rien n’est plus sécurisant que de penser que les choses sont comme elles devraient être.

Toute passion mise  part, il faut admettre que les extinctions de masse ont joué un rôle essentiel dans le façonnage de l’histoire de la vie, et ce rôle est à bien des égards imprévisible.  L’histoire de la vie vue sous cet angle, n’attribue à l’évolution de l’Homo sapiens aucun caractère de nécessité inéluctable. Comme le dit Stephen Jay Gould : « Nous sommes un événement hautement improbable dans le cour de l’évolution ». On peut trouver cela difficile à avaler, mais c’est certainement la vérité.

Un accident de l’histoire

L’image que nous avons de nous-mêmes et du monde dans lequel nous vivons est en train de subir un véritable bouleversement. Le terme de révolution n’est pas trop fort pour décrire l’amplitude du phénomène.

Il nous faudra du courage pour accepter cette nouvelle conception (un ensemble de conceptions, en fait), car elle exige que nous mettions au rebut des idées rassurantes sur notre place dans l’univers.

Permettez-moi de dire brutalement, et dès maintenant, que je suis convaincu que nous sommes au milieu d’une crise (dont nous sommes entièrement responsables) et, si nous négligeons d’y faire face avec hauteur, nous ferons peser sur les générations futures une malédiction d’un poids inimaginable.

Mon discours est intentionnellement alarmiste. Replacer Homo sapiens dans la perspective de l’histoire de la Terre, et, par extrapolation, dans la perspective de son futur.  L’exercice n’est pas facile, car l’esprit humain est habitué à réfléchir en termes de dizaines d’années, au mieux de générations, et non de centaines de millions d’années, qui constituent, l’échelle des temps de la vie sur la Terre. Quand, dans une telle perspective, on en vient à l’homme, c’est pour constater immédiatement notre importance dans l’histoire de la Terre, et, aussi, notre insignifiance. Une chose est certaine, un jour notre espèce ne sera plus, mais cette certitude n’arrive pas jusqu’à notre entendement.

Le flot de la vie n’est pas linéaire, mais est extrêmement irrégulier. En fait, nombre et, peut-être même la plupart des innovations évolutionnistes se produisent au cours de changements rapides et explosifs, et non graduellement sur des périodes de temps longues.

La réalité de l’explosion du Cambrien n’était pas vraiment dérangeante, car on pouvait s’accrocher à l’idée que, si désordonné qu’il fût, le flot de la vie gardait une direction prévisible. Nous restions ainsi son résultat inévitable.

Toutefois les découvertes touchant à l’histoire de la vie après l’explosion du Cambrien ont démoli ce raisonnement. L’expérimentation sauvage de l’explosion du Cambrien a donné naissance à cent formes différentes de vie, ou architectures. Après quelques millions d’années, seule une fraction de ces formes de vie était encore présente pour former les motifs du kaléidoscope que nous connaissons aujourd’hui.

Si les survivants avaient échappé à l’extinction en raison d’une supériorité intrinsèque, on pourrait se féliciter à l’idée que nous sommes les descendants de gagnants méritants. Cependant ce n’est pas le cas. Les gagnants de cette première extinction de masse n’avaient rien d’évidement inférieur. Comme l’a dit Jay Gould récemment : « …ce fut la plus grande loterie jamais tirée sur notre planète…« , et il se trouve que nous descendons de l’un des heureux gagnants. Nous partageons le monde d’aujourd’hui avec les descendants d’autres heureux gagnants. Rejouez à la loterie et, au tirage, un autre groupe de gagnants sortira, donnant une famille différente d’architectures pour une vie moderne différente.

L’évolution darwiniste, importante pendant les périodes d’extinctions « de fond », est mise en suspens pendant les crises biotiques.

Il nous faut donc admettre que, si spécifique que soit, à bien des égards, Homo sapiens (particulièrement en matière de créativité et de conscience), son existence n’était pas inévitable. Pis, elle était le résultat d’un certain degré de hasard. Certains auront du mal à l’accepter, mais c’est la stricte vérité. « Nous ne sommes sur la Terre qu’une espèce parmi des millions, le produit d’un demi-milliard d’années d’histoire de la vie. Nous sommes les heureux survivants d’au moins vingt crises biotiques, dont les cinq grandes extinctions« . Vu de notre paroisse, c’est l’un des enseignements les plus profonds de la révolution intellectuelle en cours, mais, pour le monde vivant dans son ensemble, ce n’est pas le plus important.

La prise de conscience que les extinctions de masse jouent un rôle aussi grand dans la mise en forme de l’histoire de la Terre est un grand moment dans l’élaboration de la théorie de l’évolution. Envolée l’image d’un flot de la vie lisse et prévisible, dont les humains sont l’inévitable parangon. A la place, on découvre un monde erratique et imprévisible, où notre place est le fruit d’une grande part de chance. Le catastrophisme est de retour, et pour de bon.

La sixième extinction

Peut-être sommes nous un accident de l’histoire, mais on ne peut contester que Homo sapiens soit aujourd’hui l’espèce dominante sur la Terre. Nous sommes apparus tardivement sur la scène de l’évolution, à une époque où la diversité de la vie sur cette planète était proche de son maximum absolu. Nous sommes arrivés armés de la capacité de détruire cette diversité partout où nous allons. Heureusement doués de raison et de réflexion, nous allons vers le XXIe siècle en façonnant notre propre monde, un monde essentiellement artificiel où la technologie apporte le confort matériel (à certains, du moins) et où le temps nous est laissé pour nous consacrer, plus que jamais à la création artistique. Malheureusement notre raison et notre réflexion ne nous ont guère empêchés d’exploiter les ressources biologiques et physiques de la Terre, collectivement, à un degré jamais atteint auparavant.

Bien sûr, Homo sapiens n’est pas la première créature vivante à laisser un impact énorme sur le biotope terrestre. Il y a trois milliards d’années, l’émergence de micro-organismes fonctionnant par la photosynthèse a commencé à transformer l’atmosphère. Ce changement a rendu possibles des formes de vie très différentes, dont les organismes multicellulaires. Des formes qui avaient prospéré quand l’environnement était pauvre en oxygène ont été réduites à occuper des habitats terrestres marginaux. Pourtant ce changement n’a pas été causé par une espèce unique, sensible, poursuivant sciemment ses objectifs matériels, mais par d’innombrables espèces dépourvues de sentiments, découvrant collectivement et inconsciemment de nouvelles voies métaboliques. La raison et la réflexion dont l’évolution nous a progressivement doté nous ont donné une flexibilité de comportement telle que nos espèce est capable de se multiplier dans pratiquement tous les environnements terrestres.

Les presque six milliards d’humains vivant aujourd’hui forment la plus grande partie du protoplasme terrestre.

Nous suçons le reste de la nature pour en tirer notre subsistance d’une façon jamais atteinte auparavant. La nature décline tandis que nous prospérons. Comme l’a dit Edward Wilson, nous sommes une « anomalie de l’environnement« . Les anomalies ne peuvent persister éternellement, et finissent par disparaître.

Wilson affirmait que « quasiment tous ceux qui étudient les processus d’extinction reconnaissent que la diversité biologique est en train de passer par une sixième grande crise, entièrement provoquée, cette fois, par l’homme. »

Le message est tellement effrayant que les gens refusent simplement de l’entendre, ou bien, s’il l’entendent, ils ne veulent pas le croire. Qu’une extinction de masse soit réellement causée par l’homme a vraiment quelque chose d’effrayant.

Selon moi, il existe une autre raison, qui se rapporte à une incertitude d’une autre nature : une incertitude sur nous-mêmes. Si l »on admet le fait que les espèces peuvent disparaître aussi facilement que le décrivent les écologistes, alors peut-être le règne de Homo sapiens est-il moins sûr que nous voudrions le croire. Peut-être sommes-nous aussi voués à disparaître ? Nous n’aimons pas les incertitudes sur nos origines, et détestons encore plus les incertitudes sur notre avenir.

Aujourd’hui déjà, l’homme consomme 40% de la production primaire de la terre (la PPN, pour « production primaire nette »). C’est à dire 40% de l’énergie totale récupérée par la photosynthèse, moins l’énergie consommée par les plantes pour leur propre croissance. En d’autres termes, Homo sapiens accapare quasiment la moitié de l’énergie permettant à toutes les espèces terrestres de survivre. Chaque fois qu’on récupère 1% de la PPN globale pour les besoins de notre espèce, dans les décennies à venir, 1% supplémentaire sera perdu pour le reste de la nature. Au bout du compte, la production primaire diminuera en même temps que l’espace réservé aux producteurs, et nous seront pris dans une spirale descendante. La diversité biologique du monde s’envolera en fumée, emportant la productivité du monde naturel dont dépend la survie de l’homme. L’avenir de la civilisation est donc en jeu.

Peu de gens contestent le volume d’espèces vouées à la disparition, si la tendance actuelle persiste, c’est-à-dire, pratiquement la moitié. La moitié de toutes les espèces du monde. Cela soutient la comparaison avec les cinq grandes crises biologiques apparaissant dans l’histoire géologique. Sauf que cette dernière crise n’est pas provoquée par un changement global de température, par une régression du niveau des mers ou un impact d’astéroïde. Elle est causé par un des habitants de la Terre. Homo sapiens est en train de provoquer la plus grande catastrophe depuis la collision de la Terre avec un astéroïde géant, il y a soixante-cinq millions d’années, qui élimina la moitié des espèces terrestres en l’espace d’un instant à l’échelle géologique.

Et nous-mêmes, Homo sapiens, faisons peut-être partie des morts-vivants.

Comme l’a écrit David Raup dans son livre Extinction, malchance ou mauvais gènes? : « … La réalité n’est pas agréable, il y a des milliers d’extinctions bien avérées dans l’histoire géologique et pour aucune d’entre elles nous n’avons  d’explication solide. Chacune des cinq grandes extinctions a ses théorie, certaines sont très convaincantes, aucune n’est prouvée. Quant à la sixième extinction, inutile de chercher le coupable. C’est nous« .

Richard Leakey Roger Lewin, Fammarion, 1997

From → Extraits

One Comment
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